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La phrase « Changeons le monde de l’intérieur » semble être un paradoxe. Pourtant, l’actualité récente du 13 novembre à Paris, liée aux djihadistes et à l’organisation Daech en montre toute la pertinence. Un article magnifique d’Axelle De Brandt, que je me fais le plaisir de vous partager…

« La puissance de cette organisation, au départ d’un groupe très minoritaire, est en train de changer le monde, notre monde. Cela me rappelle la citation de Margaret Mead:

Ne doutez jamais qu’un petit groupe de citoyens réfléchis et engagés soit capable de changer le monde. En fait, c’est la seule chose qui ait jamais marché.

Mais nous ne pensions pas que cela pouvait prendre la forme de Daech.
Mais d’où tirent-ils cette puissance qui n’est pas qu’une question d’armes et d’argent?
On peut donner de multiples raisons, explications sur l’émergence de ce mouvement (économique, politique, historique, sociale, religieuse…) et elles sont sans doute toutes justes.
On peut dire que ces jeunes ont été manipulés mais pour être manipulés, il faut être manipulable.
Ils étaient manipulables car, pour la plupart, ils étaient en recherche de quelque chose qu’ils n’ont pas pu construire en eux pour diverses raisons et ils l’ont trouvée dans ce mouvement.

Il faut se souvenir que nous avons tous 7 besoins fondamentaux, qu’on en ait conscience ou pas. Toutes nos décisions vont dans le sens de satisfaire ces besoins de façon harmonieuse et/ou disharmonieuse selon son système de croyances.

La force de ce mouvement est, je crois, d’avoir donné à ces jeunes, entre autres, un cadre qui leur permet de satisfaire certains de leurs 7 besoins fondamentaux et d’en faire surtout l’expérience:

  • ils ont trouvé une raison d’être. Celle-ci donne du sens à leur vie: ils agissent par foi, par conviction (certains sans doute aussi par soif de pouvoir, de vengeance) pour une cause plus grande qu’eux, pour laquelle ils sont prêts à mourir,
  • ils font l’expérience d’avoir une place dans la société, en tout cas, dans leur société,
  • ils se sentent faire partir d’un groupe (ils sont « frères »),
  • ils font l’expérience d’exister,
  • ils ont des repères clairs pour avancer dans leur vie même si elle se termine demain en se faisant exploser en tant que kamikaze,
  • ils vivent sans doute aussi un sentiment de confiance, de stabilité, de sécurité dans ce mouvement.

Au travers des expériences qu’ils font, ils font peut-être l’expérience que la plupart de leurs besoins sont mieux satisfaits qu’auparavant… Avec en surcroît la possibilité de gagner le paradis… Je crois que ce pourrait être une explication de leur « force », dommage que ce soit au nom d’une religion, ou, plus exactement, de ce que certains en ont fait, et surtout au détriment de tous ceux qui ne sont pas comme eux, qui ne pensent pas comme eux (qu’ils soient musulmans ou pas, d’ailleurs).

C’est sans doute là, qu’est le problème: vouloir détruire « qui ne pensent pas comme eux ».
C’est sans doute une des grandes catastrophes de l’éducation: l’absence de subjectivité ou plus exactement l’absence de « subjectivité consciente », de conscience de sa propre subjectivité.
Nous voyons, nous réagissons, nous interprétons, nous décidons au travers d’un filtre qui est composé de nos critères, de nos valeurs, de notre système de croyances, en un mot notre référentiel ou « modèle du monde » (qui évolue bien sûr toute notre vie).
Mais ce ne sont que des « hypothèses à propos de la réalité ». On les vit très peu comme des hypothèses mais plutôt comme des vérités. Ainsi on arrive à quelque chose du genre « les choses sont… » comme, par exemple, « ce film est excellent ». Non, un film n’est ni excellent, ni bon, ni mauvais. Chaque personne fera en regardant ce film une expérience  qui sera chouette, moins chouette ou pas chouette du tout. Mais cela ne dépend pas du film. Cela dépend de son système de croyances, de son filtre, de sa sensibilité,… En fait chaque spectateur voit son propre film. Vous interrogez 100 personnes à la fin d’une séance et vous aurez 100 expériences différentes et parfois même radicalement différentes.  Et ce qui est chouette, c’est que tout le monde a raison. Sans oublier que ce n’est pas parce que le plus grand nombre aime le film que c’est un bon film. Puisqu’on ne peut se baser que sur son expérience, c’est la seule chose à laquelle on a accès. C’est notre seul lien avec la réalité.

Mais nous sommes rarement éduqués avec cette notion de subjectivité consciente.
D’abord, on nous enseigne, on nous présente rarement les choses sous l’angle de l’expérience, de l’hypothèse:
« Ce que moi je crois, c’est… »
« Selon moi,… »
« J’aime ton dessin » et non « ton dessin est beau ». Beau ou pas beau ne sont que des jugements de valeur et n’ont donc aucune valeur… Ce qui donne de la valeur, c’est l’expérience qu’on en fait.
Ne partant pas de sa subjectivité consciente en tant que parent, en tant qu’enseignant, en tant qu’éduquant, on ne permet pas à l’enfant de s’ouvrir à ce concept de conscience de sa propre subjectivité, ni à la construire dans la capacité à la fois de se positionner clairement tout en restant dans l’accueil et l’ouverture de la subjectivité d’autrui: Quels sont mes critères (et les tiens)? Comment moi je me positionne (et toi?)? En quoi moi je crois (et toi?)? Qu’est-ce que moi, je préfère (et toi?)?…

Tant qu’on ne s’ouvre pas à cette subjectivité consciente, il est difficile d’aller à la rencontre de l’autre, de voir l’autre sous le regard de l’équivalence: une personne qui désire être heureuse et qui va satisfaire ses besoins fondamentaux pour l’être, de la seule façon qui est possible pour elle: selon son système de croyances et l’accepter dans ce qu’elle est.
Chaque être humain ne peut voir le monde qu’au travers de son filtre, ce qui veut dire qu’il y a 7 milliards de regards différents sur le monde, sur sa relation au monde, aux autres, sur soi.

Le paradoxe avec la religion, qui est bien un domaine où on parle de croyances, c’est qu’elles sont généralement perçues et vécues comme des vérités. On ne les remet jamais dans leur statut d’hypothèse.
On ne naît pas chrétien, on ne naît pas musulman, ni juif, on le devient. On ne naît pas djihadiste. Soit on naît dans une famille avec une certaine religion et, par l’éducation, la culture, on en intègre les principes comme ses propres critères sans les remettre nécessairement en question suite à une réflexion et un positionnement personnels, soit on le devient par choix car la personne trouve dans cette vision, dans les principes proposés par telle religion un moyen pour vivre « mieux » selon ses critères. Mais là aussi, il serait nécessaire d’y voir la notion d’hypothèse, une hypothèse à laquelle j’adhère et donc qui n’est propre qu’à moi.

Ne pas avoir conscience que ses valeurs, son système de croyances ne sont que de simples hypothèses subjectives auxquelles on adhère à propos de la réalité,  font qu’on tombe très facilement dans le statut de vérité. Mais alors surgit assez vite un problème: on se retrouve face à plusieurs vérités pour un même sujet, que ce soit pour la religion, pour la politique, à propos de la santé, à propos de l’éducation,…  ce qui n’est pas logique. Il ne peut avoir qu’une seule vérité. On en arrive ainsi à cette situation tellement courante: « Moi, je sais ce qui est vrai, bon, juste, bien et les autres sont dans le faux, le pas juste, le pas bon, le pas bien, en un mot, l’autre, les autres, ce sont les mauvais et les responsables de tous les problèmes (que ce soit votre conjoint, votre voisin de palier, votre patron, le monde politique, les autres cultures, les autres religions,…). »

Sans subjectivité consciente, on arrive à la violence : au jugement, au non-respect de la différence, à l’intolérance et la peur de l’autre. C’est ainsi qu’on rate l’acceptation, la solidarité, l’entraide, le vivre-ensemble.

J’ai l’impression que tout nous amène à apprendre à accepter l’autre dans ce qu’il a d’unique, de spécifique: son système de croyances et ses expériences et non dans ce que nous avons en commun. Comme nous n’avons pas été des très bons élèves jusqu’à présent, les évènements nous poussent toujours plus loin dans la conscience de mon rapport avec les autres, avec le monde, avec soi car c’est la seule chose sur laquelle j’ai prise: moi, mes expériences, être de plus en plus conscient(e).
 
L’acceptation, la solidarité, le respect, ne peuvent se limiter à ceux qu’on croit semblables (même famille, même pays, même religion, même couleur, même classe sociale, même quartier,…),
L’acceptation, la solidarité, le respect, ne peuvent pas non plus se définir à partir de ce que nous avons en commun  (notre nature biologique, être des êtres vivants vivant sur cette planète Terre, le fait qu’on soit de nature spirituelle pour certains,…)

L’acceptation, la solidarité, le respect pourraient se construire sur nos différences: accepter soi et l’autre dans nos différences, qui ne sont que des différences d’hypothèses dans le rapport qu’on a avec soi, avec les autres, avec le monde. Et chaque hypothèse a sa valeur, libérée de toute notion de jugement (à condition de respecter les 7 besoins fondamentaux de chacun – mais ça, ça n’est que mon avis…).

Est-ce une utopie?
Je ne crois pas.

Si chacun de nous devenait conscient de sa subjectivité,
si chacun de nous donnait du sens à sa vie,
si chaque enfant pouvait s’inspirer de cela, se construire à partir de cela,
nous retrouverions notre puissance d’être humain, d’être social et de citoyen.
Et je crois qu’un vrai vivre-ensemble serait possible à construire
et il n’y aurait pas de terreau (ou en tout cas beaucoup moins) pour les racines de l’intolérance, de l’injustice, de la peur, de l’extrémisme, de la radicalisation,…

C’est de notre devoir de réinventer le Bonheur au travers du vivre-ensemble!

Axelle De Brandt

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